Un centime par jour, doubler son salaire chaque jour pendant 30 jours, ça parait crétin.
Nettoyer les écuries d’Augias, c’était un des travaux d’Hercule, qui l’avait accompli en un jour, mais pour cela il avait dû dévier le cours d’un fleuve.
Nous on a quand même une conscience environnementale, ne touchons pas au fleuve, et donc ce bon vieil Augias va devoir se résigner à patienter – et payer – trente jours de travail. Alors, tu le prends ce boulot ? Tu la traverses la rue, direction les écuries ?
Tu hésites, tu comptes sur tes doigts.
Après de rudes efforts, le 7e jour, le premier dimanche, tu calcules que tu reçois royalement 64 centimes pour tes huit heures d’effort du jour. Au bout d’une semaine, tu as donc 1,27 euros dans les poches, tu peux tout juste t’acheter une baguette tradition, et encore faudrait pas que le blé fasse monter l’inflation.
Tu persistes (à compter sur tes doigts), c’est chiant ces multiplications, mais tu es presque sûr que le 2e jeudi, le 11e jour, au bout de plus d’un tiers des trente jours prévus, pour récompense de ton dur labeur dans cette boue infâme, tu reçois royalement 10,24 €, tout juste le SMIC horaire, mais dans ton cas pour une journée entière de travail. Ton dos n’est que douleur, tes mains sont couvertes d’ampoules, tu pues le crottin, tout ça pour 20,47 € au total. Non mais non…
Tu arrêtes ?
Tu ne devrais pas.
Car les petits chiffres, au bout d’un moment, font les grands nombres.
C’est beau à voir.
Si tu persistes, à la fin du deuxième dimanche, voilà que ce bon vieil Augias te verse 82 €, ça commence à ressembler à une rémunération acceptable pour une journée de travail. Et il reste encore deux semaines à doubler ton salaire tous les jours.
Et pendant ces deux semaines, ça va faire mal.
Le troisième dimanche, tu touches plus de 10 000 euros pour ta journée, tu en es à 21 000 euros au total, tu n’as pas perdu ton mois.
Il faut croire qu’Augias est un homme riche, et qu’il tient vraiment à avoir des écuries propres, car le festival des neuf derniers jours est spectaculaire : 21 000, 42 000, 84 000 euros, et puis 168, 336 et enfin 672 000 euros. Le dernier dimanche, tu dépasses allègrement le million d’euros : 1 342 178 euros pour tes efforts. Ça va ? Il reste deux jours pour finir. Hop, plus de cinq millions dans ta poche le dernier jour.
Si tu as accepté ce boulot et que tu es allé au bout des 30 jours, au total, tu auras reçu plus de 10 millions d’euros, 10 737 418 € pour être exact. Dingue, non ?
Je la connaissais, mais avec un gars qui met un grain de riz sur chaque case d’un damier.
Effectivement, il y a aussi cette légende du sage Sissa en Inde qui invente le jeu d’échec et demande en remerciement « seulement un grain de riz en doublant le nombre de grains pour chaque case de l’échiquier ». Au final ça représenterait dix fois la production nationale de riz, et le roi serait presque ruiné – mais on peut supposer que, humilié, il se ressaisisse et décapite le sage.
Ce sont de belles histoires, « et alors me demandes-tu », quel rapport avec le Sink Tank ?
Tu es bien matérialiste et après tout, tu as bien le droit.
Alors, ça veut dire quoi concrètement ?
Ça veut dire que, comme les salaires chez Augias et comme les grains de riz indiens, quand on double, ça va vite. Nous, ce qui nous intéresse, c’est de doubler le plus souvent possible notre nombre d’adhérents. Et pour gagner du temps, ce serait bien de faire plus que doubler.
Si tu as lu notre Manifeste, tu sais que faire nombre, c’est un de nos objectifs principaux, c’est la condition pour que la révolution écologique soit incontournable. Alors, multiplier le nombre d’adhérents, est-ce si difficile ?
Regardons ça de près.
On à tous ou presque trois parents (papa, mamy, tonton, tes cousines, qui tu veux). En fouillant dans ton carnet d’adresse tu vas bien te trouver trois amis pas complètement cons et trois collègues à peu près sur ta longueur d’onde mentale, ça fait déjà neuf niveaux. Avec un peu de chance tu es en couple ou en trouple, hop on fait une moyenne et on arrondit à 10 personnes que tu pourrais recruter.
Eh bien si, comme toi, les 300 premiers adhérents apportent chacun 10 filleuls, et qu’eux-mêmes font la même chose, nous voilà 33 000 personnes. Tu te dis que ce serait déjà supère mais qu’on n’est pas arrivé, avec 33 000 personnes, c’est pas ça qui va refaire le monde. C’est pas faux, mais c’est déjà plus d’adhérents que le Parti socialiste, qui en était à 22 000 au dernier comptage, et c’est quand même nettement mieux que zéro il y a six mois.
Et puis surtout, ce n’est que le début. Si, l’année suivante, nos 33 000 en trouvaient 10 de plus chacun ? Ça commence à être un challenge un peu plus serré. Tu as déjà convaincu ta moitié, papa, mamy, tonton, trois potes et trois collègues, ceux d’après va falloir les trouver. Mais au final, ce n’est pas non plus insurmontable : 10 en en un an, c’est un peu moins d’une personne par mois. Qui ? Ton boulanger, un parent d’élève, les deux cousines à qui finalement tu n’en n’as pas parlé, ta nièce écolo, deux ados copines de ton fils, un couple avec qui t’avais parlé au bar ou à la fête de l’école, un ex à qui t’avais envoyé un sexto et ça a dégénéré en discussion politique, et hop ça fait dix de plus.
33 000 fois dix, t’as qu’à voir, ça fait 330 000 adhérents, même mon fils sait faire ce calcul, sauf qu’il se trompe car c’est 333 300 en tout du coup (quoi papa ? bah oui, mon lapin, faut pas oublier pas les 3300 du début, 330 000 + 3300 mon loulou). Là, on commence à discuter ou pas ?
Mais attends, encore un tour de moulin l’année suivante : tu sais compter, ça ferait plus de 3,3 millions. Alors c’est sûr, toi qui as déjà rameuté 20 personnes dont ton ex, tu commences à sacrément tirer la langue, on ne va pas te le reprocher, mais il n’y pas que toi, plus maintenant, c’est pour ça que c’est difficile mais pas si difficile. Parce que pour les 330 000 nouveaux entrants, ça reste assez simple de trouver juste dix personnes à convaincre : leur papa, leur mamy, leurs cousines, trois amis pas complètement cons et trois collègues à peu près sur leur longueur d’onde mentale.
C’est une pyramide de Ponzi ton truc, ces histoires exponentielles ça finit toujours par se prendre un mur à un moment
OK, on rêve.
Ce sera peut-être pas 3 millions et demi. Allez deux fois moins ? Un million et demi ? Très bien, on signe. Quand même, ce qui paraissait complètement dément, toucher plusieurs centaines de milliers, plusieurs millions de personnes en moins de trois ans, ce n’est finalement pas complètement déraisonnable.
Tu restes sceptiques ? « S’il suffisait de faire ça toutes les assos le feraient et ça se saurait ».
Eh bien en fait, non, toutes les assos ne font pas ça.
Cette discipline : chaque mois, parler du Sink Tank à quelqu’un, elle n’est pas d’évidence, très peu de structures s’y collent. Nous, on va essayer. Chaque mois, recruter un nouvel adhérent.
On a de l’humour, on a des bonnes idées, mais sur ce sujet, on va être lourds et peut-être pénibles. Mais pour nous aussi, te casser les pieds (ou d’autres parties du corps) pour recruter, c’est une violence contre nous-mêmes (scoop : on n’aime pas faire chier les gens – sauf certains gens qui l’ont bien cherché). Pour nous aussi, te parler, écrire, t’écrire, essayer de te convaincre, c’est beaucoup de temps, mais c’est aussi une certaine violence contre nous-mêmes (scoop 2 : si on le fait, c’est vraiment parce qu’on flippe de ces histoires de réchauffement climatique, alors que certains d’entre nous sont très timides, et que d’autres préféreraient, si les lois de la physique étaient différentes, prendre l’avion tous les week-ends pour aller boire du pétrole à Ibiza).
Alors, quand on t’enverra des mots d’amour pour te demander de recruter des adhérents, pense à ce pauvre vieil Hercule qui s’est tant fait suer pour gagner quoi, quelques siècles plus tard ? Pas un kopeck, et la dette grecque en héritage par-dessus le marché. Sois héroïque comme Hercule. Parle aux gens autour de toi, parle du Sink Tank, bosse pour nous comme on bosse pour toi comme on bosse pour les générations futures qui sont déjà là. Ça en fait du monde, ça en fait des chiffres, il y a de quoi faire.
Allons-y.